Bertrand, vous jouez actuellement les championnats du monde de poker. Êtes-vous dans de bonnes dispositions?
Je me sens bien. J'ai hâte d'enchaîner les tournois et de jouer tous les jours. J'espère en faire une vingtaine avec certains événements que je ne veux pas rater, comme le tournoi en tête-à-tête ou celui à 6 joueurs. Le but, c'est de remporter un bracelet. Ce désir est plus intense d'année en année. J'ai envie de faire ce triplé WPT-EPT-WSOP (le World Poker Tour et l'European Poker Tour sont les deux circuits de référence et se jouent toute l'année, tandis que les World Series of Poker se jouent chaque année pendant un mois à Las Vegas, ndlr). Seulement deux autres joueurs sont parvenus à faire cet exploit. J'aime bien me mettre la pression. J'en ai l'habitude et ça me motive. Cela me permet de mieux jouer.
Marquer l’histoire du poker, c’est désormais votre objectif…
C'est important car je suis dans une bonne situation. Il me manque très peu pour pouvoir marquer l'histoire, soit en réalisant ce triplé, soit en remportant un second EPT, ce que personne n'a jamais fait. Et puis j'aimerais bien remporter un grand tournoi en France. Je ne l'ai jamais fait et ce serait symbolique.
Gagner en popularité, est-ce aussi important que récolter des titres?
Le nombre de bracelets est plus important. L’objectif est d’en gagner un maximum à Vegas et de multiplier les performances sur le circuit européen et mondial. La popularité est éphémère. Si j’arrête dans 5 ans, on ne se souviendra plus de moi. Les titres restent dans l’histoire.
Vous considérez-vous comme le plus grand joueur français par rapport à d’autres de l’ancienne génération comme David Benyamine?
J’en ai discuté un jour à la table avec une personne me disant que David était le plus grand joueur français. C’est difficile à comparer. En cash game, c’est clairement le meilleur. En tournois, il a aussi des résultats mais nos palmarès sont équivalents. J’ai même plus de titres que lui, mais il ne fait pas autant de tournois que moi, il se concentre aussi sur le cash game, ce que je ne fais pas. En somme, nous n’avons pas les mêmes objectifs.
Comment vivez-vous quotidiennement le statut de vedette du poker?
C’est très sympa en général. Les pauses lors des tournois peuvent être stressantes. Je n’ai pas le temps d’aller aux toilettes ni de manger un morceau puisque je suis sollicité pour faire des interviews et signer des autographes. Ça peut être difficile sur le moment. Mais c’est le métier et c’est un grand plaisir d’être reconnu et supporté. Je ne suis pas seul et cela donne des forces. Les sollicitations de la presse et les obligations du sponsor ne fatiguent pas. Ça n’empiète pas sur mon jeu. Et finalement, j’en avais l’habitude lors de ma carrière dans Starcfart.
De part votre fulgurante carrière et votre style de jeu, êtes-vous conscient d’être un modèle pour beaucoup, notamment les jeunes…
Je le ressens pas mal de fois. Beaucoup de jeunes français voudraient suivre mes traces. C’est plaisant mais ce n’est pas toujours facile car cela me donne des responsabilités. Je touche directement les jeunes. La moyenne d’âge ne cesse de diminuer et c’est donc la cible la plus importante pour le poker. D’ailleurs, avec la sortie de Star Craft 2, on tentera de faire un partenariat dans le monde du jeu vidéo. Après, les jeunes ne doivent pas trop rêver avec le poker. N’importe qui peut devenir un champion, mais ce n’est si facile que ça. Il faut beaucoup s’éduquer, beaucoup travailler et avoir une grande force mentale. Il faut être honnête avec soi-même et ne pas toujours rejeter ses défaites sur la malchance.
Avec l’ouverture du marché, vous serez encore plus sollicité…
Faire la promotion du poker me fera un grand bien. J’ai envie d’être un ambassadeur, de donner la meilleure image possible. Le poker est un jeu et les passionnés ne sont pas obligés de se mettre en danger financièrement. Sur internet, il est possible de jouer de nombreux tournois et donc de s’amuser pour peu d’argent. D’ailleurs, c’est en gagnant à ces petites limites que l’on peut progresser et rêver, un jour, de devenir professionnel ou du moins de jouer les grands tournois.
Certains disent que vous avez révolutionné le poker avec votre style de jeu…
Globalement, il est certain que la génération internet a apporté un nouveau souffle au poker, en offrant un jeu différent que celui proposé par les joueurs de casinos. Le poker en ligne a permis à d’excellents joueurs d’émerger. Ils ont pu jouer des millions de mains pour peu d’argent. Ils n’auraient pas pu le faire en casinos. Aujourd’hui, cela commence à se mixer. Les meilleurs professionnels ont appris des joueurs internet. Les très grands savent s’adapter. Phil Ivey et David Benyamine ont appris de Patrik Antonius et de Tom Dwan par exemple…
Lorsque vous avez quitté le monde du jeu vidéo pour le poker, pensiez-vous devenir aussi performant?
Pas du tout. Mon début de parcours dans le poker a été progressif. J’ai d’abord gagné en cash game sur internet avant de décider de me lancer complètement. J’avais besoin d’évoluer dans ma vie, d’autant que mon manager et mes coéquipiers étaient partis à l’armée. Pour plusieurs raisons, j’ai décidé de me lancer dans une nouvelle aventure. Je n’ai aucun regret, évidemment, puisque je ne pensais pas gagner autant d’argent, avoir un sponsor, un agent ou encore voyager à travers le monde.
Que vous a apporté votre passé de joueur de StarCraft?
Comme le poker, StarCraft est un jeu d’informations incomplètes. A savoir que l’on a seulement le champ de vision de nos unités. Il faut donc anticiper sur la stratégie globale de l'adversaire en prenant en compte quelques informations. C’est identique au poker. On doit étudier la manière de miser de nos adversaires selon les situations. Il faut savoir anticiper les actions adverses.
De plus, vous aviez déjà ce statut de vedette en Corée…
Effectivement, cela m’a beaucoup aidé au poker. En Corée, la société est beaucoup plus compétitive qu’en France. Les Coréens ont toujours envie de travailler et de réussir. Cette mentalité a déteint sur moi. Cela m’a beaucoup aidé pour résister à la pression par exemple, puisque j’avais joué dans des stades pleins. L’enjeu financier était plus faible, mais la pression toute aussi importante. Dans tous les sports de haut niveau, il faut se montrer fort dans les moments importants. Comme au tennis par exemple. Certains joueurs sont très bons à l’entraînement mais ils perdent ensuite leur lucidité en public et devant les caméras.
Vous avez pris un tournant dans votre carrière en quittant votre manager, Stéphane Matheu, pour vous associer à Lagarère Unlimited (qui a remplacé Lagardère Sports). Pour quelles raisons?
Stéphane s’est lancé dans une nouvelle aventure en devenant le manager des joueurs de l’équipe Winamax. Dans la foulée, j’ai rencontre Gaël (Monfils, le tennisman) à Monaco puis son agent chez Lagardère. J’ai senti tout de suite que c’était une bonne idée, que c’était dans la continuité. Avec Jacques (Zaicik, son mentor depuis quelques années, ndlr), on a essayé de professionnaliser mon activité et de la rapprocher au maximum d’un sport de haut niveau. Lagardère possède d’énormes moyens et je pourrai profiter des installations pour ma préparation physique et mentale. Ce sera une bonne expérience puisque je collabore avec de grands professionnels. Arnaud (Lagardère) s’est montré très motivé et cela m’a fait plaisir. Je pense qu’il y a beaucoup de choses à faire avec mon image en France. J’ai envie de côtoyer des sportifs, avec qui je trouve des points communs.
En quoi une préparation physique vous aide dans le poker?
C’est sérieux: je trouve que c’est plus efficace. Les tournois sont très longs, le niveau de jeu augmente et cela nécessite une préparation très importante. Un joueur ne doit pas avoir de sautes de concentration même après 10 heures de jeu. Flancher mentalement, cela peut arriver lorsque l’on est mal préparé et que l’on a mal dormi par exemple. L’avantage technique que possèdent les meilleurs joueurs se réduit car tout le monde apprend. Il faut donc trouver des domaines à améliorer.
Certains joueurs ne sont pas d’accord avec cette approche…
Faire du sport ne fait pas de moi un meilleur joueur. Mais cela peut aider lors d’un tournoi marathon. Après, cela dépend de chacun. Si certains sont capables de ne faire aucune erreur en adoptant un style de vie sans activité physique, alors tant mieux. Mais regardez Phil Laak, qui a réalisé le record de la plus longue session de poker (115 heures). Il s’est préparé pendant 6 mois en faisant du sport.
Le poker est un milieu festif. N’est-ce pas trop dur de conserver cette hygiène de vie?
Je fais du sport quasiment tous les jours et j’ai étudié la nutrition. Je veux toujours être en forme en période de tournois. En ce moment à Vegas, je ne sors pas, je dors vers minuit-1h et je me réveille à 8h pour prendre un bon petit déjeuner et partir au sport deux heures plus tard. Il y a quelques années, c’était une autre histoire. Mais il y a toujours d’autres moments pour s’amuser. Je n’ai pas envie d’amenuiser mes chances de réaliser une performance. Que mes amis du poker aillent faire la fête à la veille d’un grand tournoi, cela ne me dérange pas du tout. Au contraire, cela me donne plus de chances (rires).
Enfin, en quoi le poker est un si beau jeu?
Les règles sont très faciles à apprendre. On peut s’amuser, aborder le poker comme un jeu de cartes traditionnel mais aussi vouloir s’améliorer constamment. Il y a un renouvellement permanent car un joueur ne fait jamais face à la même situation. Et puis il y a cette part de hasard qui permet à tout le monde de gagner, même aux amateurs. Le poker fait donc rêver et c’est un milieu formidable. On y croise des personnes très sympas qui ont des objectifs différents.